Quai de gare, avec un banc. Un lampadaire à côté.
Début de soirée.
Jeanne, debout, se tient la tête dans les mains. Elle les mets dans ses poches, et s’assoit sur le banc. Elle regarde l’horizon, puis à gauche et à droite. Regarde à nouveau le lointain. Se tient encore la tête dans les mains.
Viens Bromel. JEANNE
(pensive). - Que faire?
BROMEL
(observant Jeanne, s’approchant petit à petit). - Je suis là.
(Sortant un paquet de cigarette de sa poche.) Tu en veux une?
JEANNE - Vous êtes là.
(Considérant le paquet de cigarette.) Je ne fume pas merci, je ne voudrai pas mourir d’un cancer.
BROMEL - Très bien.
(Rangeant son paquet de cigarette.) Moi non plus je ne veux pas mourir de la sorte. Je m’appelle Bromel.
Silence.
(Attendant une réponse.) Et vous?
JEANNE - Jeanne, mais cela n’a pas d’importance.
BROMEL - Nous sommes condamnés à attendre le train ensemble donc faisons connaissances,
(Prenant place sur le banc.) de plus il n’y a qu’un banc donc je suis obligé de rester près de toi.
JEANNE
(faisant la moue). - C’est vrai. Excusez ma froideur mais cela fait près de deux heures que j’attends mon train.
BROMEL
(étonné). - Pourquoi être venu si tôt que cela?
JEANNE - Pour réfléchir.
BROMEL - Très bien, tu veux que l’on réfléchisse ensemble?
Silence
Alors?
JEANNE
(froidement).- J’y réfléchis.
BROMEL - J’attendrai dans ce cas.
(Bromel regarde l’horizon, regarde à gauche puis à droite. Regarde à nouveau le lointain.)
Silence
JEANNE - C’est d’accord.
BROMEL
(satisfait). - Parfait! A quoi penses-tu?
JEANNE
(pensive). - A la vie, ou plutôt à la mort.
BROMEL - Hum
(Prenant une pose de réflexion.), et bien la vie est quelque chose de sympathique. La mort par son côté inévitable, l’est aussi car rien n’est plus naturelle que de mourir. C’est formidable! La mort est merveilleuse!
JEANNE
(regardant Bromel pour la première fois.) - C’est… c’est-ce dont je pensai, j’en était venu à la même conclusion.
(Esquissant un petit sourire.) Je m’appelle Jeanne, et vous?
BROMEL
(étonné). - Bromel, mais je te l’ai dit à l’instant!
JEANNE - Je sais mais faisons comme si nous venions de nous rencontrés. Bonjour Bromel, il fait beau n’est-ce pas?
BROMEL
(très surpris). - Certes le temps est agréable (Reprenant son paquet de cigarettes), Tu en veux une?
JEANNE
(avec emportement). - Je vous ai déjà dit non tout à l’heure!
BROMEL
(souriant). - Je sais, mais nous venons de nous rencontré à nouveau n’est-ce pas? donc je te repose la question.
JEANNE
(piqué au vif). - Dans ce cas oui, je veux bien, ce n’est pas une cigarette qui me fera mourir d’un cancer… et puis mourir est quelque chose de merveilleux. Vous prenez quel train?
BROMEL
(prenant un air sérieux). - J’ai une mission ici. (Scrutant le ciel) Vivement qu’on y soit…
(Bromel se lève, tire une grosse bouffée sur sa cigarette, et jette celle-ci. Se tournant vers Jeanne.) Tu sais, j’ai peur.
JEANNE
(Jeanne, interloquée, mets à sa bouche la cigarette, sans l’allumer). - Vraiment?
BROMEL - Oui…
JEANNE - C’est navrant.
BROMEL - En effet…
JEANNE - Mais…
(Cherchant ses mots.) de quoi?
(Jetant à son tour sa cigarette.) C’est important?
BROMEL
(narquois). - De ne pas réussir ma mission…
(Pointant Jeanne de son index.) je suis là pour toi, tu as un choix à faire, je dois t’aider.
(Répétant rapidement.) Je suis là pour toi! Je suis là pour toi! Pour toi! Pour toi!
JEANNE
(se levant du banc, effrayée). - Mais… arrêtez!
BROMEL
(lui tenant le bras). - Tu hésites hein?! Fait le! Fait le!
JEANNE
(se dégageant). - STOP!!
(Fondant en larmes.)BROMEL
(se calmant). - Bien, discutons maintenant. Le ciel s’assombrit.
(Un temps.) C’est bien.
(Un temps.) Alors Jeanne, que comptes-tu faire?
La lumière baisse soudainement. Seul le lampadaire de la gare éclaire la scène. JEANNE
(tenant sa tête dans les mains). - Je… ma vie est un échec, mon mari m’a trompé
(S’essuyant le visage.) d’ailleurs sa lui à coûté la vie! J’ai bien fais de le tuer!
BROMEL - Oui, tu as bien fait.
JEANNE - Oui, j’ai bien fais.
BROMEL - Exactement.
JEANNE - Mais…
(Un temps.) je…
BROMEL
(coupant Jeanne). - Mais quoi? Il t’a trompé, tu l’as tué. C’est une réaction naturelle.
JEANNE
(perplexe). - Vraiment?
BROMEL - Assurément. Reprenons place sur le banc si tu veux bien.
(S’installant sur le banc avec Jeanne.)Silence
JEANNE - Pourquoi... pourquoi alors ai-je des regrets? J’ai peur de ce que je suis devenue… mon âme est impure désormais.
BROMEL - Faux! Absolument faux! Ton âme est belle, encore plus éclatante désormais! Tu as ta place au Paradis!
JEANNE
(dubitative). - Mais je l’ai tuée, j’ai péchée!
BROMEL - Et? C’est lui qui as péché en te trahissant.
(Timidement) Tu es courageuse.
JEANNE
(haussant les épaules). - Oui, peut être.
BROMEL - Je suis fier de toi, tu peux encore plus m’impressionner si tu le fait.
JEANNE - Si je le fais?
BROMEL - Si tu le fais
JEANNE - Je dois le faire!
BROMEL
(plus fort). - Fait le!
JEANNE - Je.. Je ne sais pas! Je ne peux pas! J’ai peur d’être une ombre désormais, j’ai peur!
BROMEL - Tu es une ombre! (Regardant sa montre.) L’heure approche, tu dois le faire.
JEANNE
(regardant sa montre). - L’heure approche…
BROMEL - Inéluctablement.
JEANNE - Je sens que je m’ombris.
(Un temps.) Je m’ombris! Je m’ombris! Arhgg!
(remettant sa tête dans les mains.)BROMEL
(vociférant). - Fait le! Fait le! Fait le!
Silence
JEANNE
(sardonique). - Dis donc Bromel, il y a des anagrammes qui sont plus finement recherchés.
BROMEL - Plaît-il? Pure coïncidence.
JEANNE
(excédée). - Vraiment? Dans se cas, pourquoi je suis là, marmonnant de sombres pensées? Je suis là… je suis là, ici, seule sur ce banc! Une vraie ombre! L’ombre de ce lampadaire tiens!
(Un temps.) Ma vie est un triste échec, mon mariage est fichu… c’est d’ailleurs sûr ça, j’ai tuée mon mari! Que dois-je faire désormais?! Que va-t-il m’arriver? J’irai en prison. Ils vont m’arrêter, m’interroger, m’humilier, me torturer, m’emprisonner, me tuer, m’enterrer, me déterrer et me pendre!
Long silence.
BROMEL - Ne dis pas de sottises, te pendre…
JEANNE - Oui monsieur! Pour l’exemple tiens!
(Dévisageant Bromel.) Que fait-tu ici toi?
BROMEL - Tiens, tu me tutoie?
(Ayant un rictus.) Je suis là pour toi, je te l’ai dis, j’ai une mission à accomplir.
JEANNE
(à brûle-pourpoint). - Existes-tu?
BROMEL
(surpris). - Je…je ne sais pas, je sais juste que je suis là pour te guider. Depuis la mort de ton mari je me sens exister! Je lutte! Tu essaie de mettre un peu de lumière en toi, or certaines zones doivent rester dans l’obscurité. Assumes ce que tu es. Je lutte! Un vrai pugilat! Mais je gagne peu à peu, cela est évident.
(Un temps.) Existes-tu toi?
JEANNE - Et bien, oui je pense.
(Un temps.) Je m’ombris désespérément…
(Sanglotante.)BROMEL
(compatissant). - Fait le, et tout ira mieux, tu verras.
JEANNE
(toujours sanglotante). - J’ai peur, j’ai peur de ce que je suis devenue.
BROMEL - Ne cherches plus à fuir, tu es courageuse.
JEANNE - Je suis courageuse.
BROMEL - Le courage est louable, aussi je te conseille de le faire., fait le.
JEANNE - Le courage est louable, aussi j’ai peur de moi désormais.
BROMEL - Fait le, t’a peur s’effacera. N’ai point peur d’être une ombre. Il faut assumer ce que nous sommes, toute part de lumière suppose une part d’ombre. C’est naturelle, tout comme la mort. Fait le.
JEANNE
(regardant sa montre). - L’heure approche, je dois le faire.
BROMEL - Ah! C’est bien bravo.
JEANNE - Oui, et si je le fais, tu aura réussis ta mission c’est cela?
BROMEL
(acquiescant de la tête). - C’est exact, je suis ici simplement pour que tu n’ai plus peur de toi, que tu acceptes ta part d’ombre. Tu as tuée, certes. Cela montre bien que tu peux aussi faire ce que je te demande.
Long silence.
JEANNE - Bromel?
BROMEL - Oui?
JEANNE - Bromel, est-tu ma conscience?
BROMEL - Certainement, je dois en faire partie… d’ailleurs vois tu d’autres personnes dans cette gare abandonnée?
JEANNE
(observant la scène, puis le public). - Absolument personne, c’est étrange d’ailleurs.
(Se retournant vers Bromel.) J’ai peur, j’ai peur de toi Bromel. Je viens de comprendre, tu es ma part d’ombre. J’ai peur et pourtant, tout semble simple, évident.
BROMEL - Tu es seule avec toi-même, je suis là pour t’aider à prendre la bonne décision. Si tu ne le fais pas, tu erreras parmi les vivants, telle une ombre.
(Un temps.) Souhaites-tu cela?
JEANNE
(niant de la tête). - Oh non! j’en ai bien trop peur! J’ai peur de l’ombre, de l’ombre de la mort, de Dieu qui me punira. Si je fais le bilan de ma vie, je verrai que je n’ai pas été à l’église, que je n’ai pas prier, que j’ai blasphémer, que je n’étais pas bonne avec les autres, avec mon mari, que j’ai tuée… je finirai dans les ténèbres, condamner à errer ici, dans cette enfer.
Silence.
BROMEL - Jeanne, ma petite Jeanne. Depuis le temps que je te connais, laisse moi te dire quelque chose. Dieu ne t’en voudra pas, s’il t’a permis de tuer, c’est qu’il n’a rien trouver à y redire, combien il y à t-il de gens assassiner par jour? Beaucoup. Tu sais, Dieu s’en fiche. L’église, voyons Jeanne, si Dieu existe, il ne se contenterai pas d’indiquer des lieux en particulier pour se recueillir. Dieu s’en fiche. Prier? Jeanne, il n’y a que les prétentieux qui souhaitent qu’on leur accorde de l’attention, Dieu s’en fiche. Tu as blasphémer, et alors? Dieu s’en fiche, il est au dessus de ça; ne croient pas ceux qui se disent serviteurs de Dieu. Dieu n’a pas besoin de serviteurs, ce sont des usurpateurs, Dieu se fiche d’eux. Tu n’a pas été bonne? C’est la vie. Il faut l’équilibre, tes actions ne regardent que toi, Dieu s’en fiche.
Silence.
JEANNE - J’ai peur de l’obscurité depuis toute petite aussi…
BROMEL - Je sais cela.
JEANNE - C’est vrai, tu sais tout de moi. Je pense…
BROMEL - … qu‘il faut le faire…
JEANNE - … sinon je le regretterai, en plus…
BROMEL - … c’est l’heure d’après ma montre, il faut que…
JEANNE - … je sois courageuse, encore une fois…
BROMEL - … et après ce sera finis, terminée pour moi.
Bromel et Jeanne se fixe désormais intensément, silence.JEANNE - Bromel, tu as réussis, adieu.
BROMEL - Adieu Jeanne, tu n’aura plus peur de l’ombre là bas, tout étincelle. C’est merveilleux.
Tirant une révérence à Jeanne, Bromel quitte la scène. Jeanne regarda à nouveau sa montre, se lève du banc.JEANNE
(à elle même). - Merci Bromel.
Jeanne prend la direction du chemin de fer, la lumière s’éteint et le bruit d’une locomotive résonne bruyamment.